[Bordeaux Tasting] Un clos dans le vent

Le champagne Cattier acquiert en 1950 la parcelle qui donnera naissance à la première édition du Clos du Moulin. La vision de Jean Cattier, les connaissances viticoles et œnologiques de Jean-Jacques, son fils, et d’Alexandre, son petit-fils, ont donné ses lettres de noblesse à une cuvée élaborée dans la plus pure tradition champenoise. « Un clos dans le vent qui fait tourner les moulins de nos cœurs« . Retrouvez aujourd’hui et demain la famille Cattier à Bordeaux Tasting au 1er étage du Palais de la Bourse.

« Mon père a fait venir des bulldozers de Paris. Tous les enfants venaient voir les mètres cubes de terre poussés par ces énormes machines. Pour eux, c’étaient des ovnis ! » Les souvenirs de Jean-Jacques Cattier remontent le temps à l’année 1950. L’actuel président du Conseil de surveillance avait cinq ans. Son père Jean venait d’acquérir 2,20 hectares d’une parcelle réunifiée à Ludes, en plein cœur de la montagne de Reims : « L’endroit ressemblait à un champ de bataille. Il y avait des talus, des fossés… Seuls 30 à 40 ares étaient plantés en vignes, à l’époque des meuniers, que l’on a vite arrachés. J’ai eu le temps de voir son évolution », poursuit le représentant de la 12ème génération. Et quelle évolution ! Cette friche d’après-guerre a constitué la base de ce qui est devenu aujourd’hui le Clos du Moulin, l’un des trois premiers clos historiques avec le Clos des Goisses de la maison Philipponnat et le Clos du Mesnil, propriété du champagne Krug. 

Première édition lancée en 1955
À l’origine, cette parcelle était la jonction de deux clos mitoyens : le Clos du Moulin où, au XVIIIe siècle, trônait fièrement le moulin de la Liberté, et le Clos Allart, propriété d’Allart de Maisonneuve, officier du roi Louis XV. « Allart de Maisonneuve était l’un des premiers grands négociants en vins, reprend Jean-Jacques Cattier. Il élaborait des vins de Sillery et la petite production de ce clos était très appréciée à la cour des tsars. » Construit en bois, le moulin fut incendié en 1789, avant d’être rebâti en pierre, mais « l’usure du temps et les ravages des deux guerres mondiales », qui ont frappé durement Reims et le territoire, ont eu raison de lui, tout comme de la quasi-totalité des murs de pierre qui entouraient le clos. « Il ne restait qu’un petit pan au moment où mon père a acheté le terrain » se souvient Jean-Jacques. Quelques années plus tard, afin de redessiner son périmètre et rendre, finalement, son âme au clos, les murs ont été reconstruits. 

Dans les années 1940-1950, aucune cuvée en Champagne ne se revendiquait d’un clos. Il existait bien quelques clos, hérités des grands vignobles monastiques, mais leurs raisins étaient vinifiés avec ceux des autres parcelles. Jean Cattier a été l’un des premiers, si ce n’est le premier, à avoir cette vision d’une cuvée singulière, lorsqu’il a décidé en 1951 de vinifier séparément la première vendange. La cuvée Clos du Moulin était née. Les toutes premières bouteilles furent commercialisées en 1955. 

Un terroir unique
Alexandre Cattier, le fils de Jean-Jaques, président de la maison et œnologue, nous dévoile le secret de ce terroir unique. « L’originalité de cette parcelle est de se situer tout en haut d’une butte, si bien qu’elle est très exposée au vent, ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il y avait un moulin. Ce vent chasse l’humidité et protège les vignes de la pourriture. Alors que le terroir à Ludes et Chigny regarde vers le nord-ouest, la situation au sommet de la colline assure un ensoleillement maximal grâce auquel on obtient de belles maturités. »

Tout comme la cuvée, la parcelle est composée à parité de chardonnay et de pinot noir. Elle a été un peu remaniée en 2017 à la suite d’un accident climatique. « Sur les versants de la butte, les chardonnays ont gelé. Nous avons donc inversé la localisation, en plantant les pinots noirs sur les versants et les chardonnays, qui sont plus précoces, sur le haut de la butte. » La conduite de la vigne a elle aussi ses spécificités. « Nous charrutons davantage le sol que dans les autres parcelles, de manière à couper les racines superficielles et obliger la vigne à plonger davantage, de sorte qu’il y a plus de recherche d’éléments minéraux. La vigne souffre aussi moins pendant les canicules, les racines pouvant ainsi puiser l’eau plus en profondeur quand la surface du sol s’est asséchée. Afin de ne pas tasser les sols, nous utilisons un cheval. »

Le sol crayeux du clos donne par nature des vins droits. Cette tension est renforcée par le choix de n’employer que les deux premières serres au pressurage, c’est-à-dire le cœur de la cuvée. Il constitue la partie qui a le plus d’acidité ce qui renforce encore le potentiel de garde, en sachant que la maison opère toujours des vieillissements longs (six à sept ans). Si le principe du clos se rattache à la tradition bourguignonne, la maison conserve certains principes bien champenois dans la vinification. « Il s’agit d’un multimillésimes car mon grand-père a souhaité honorer la tradition d’assemblage du champagne. Nous ne sélectionnons toutefois que les meilleures années. » 

Alexandre et Jean-Jacques ont imprimé leur marque à deux occasions. La première, cinquante ans après le lancement du premier Clos du Moulin, en créant la version rosé Premier cru. La seconde, cette année, en changeant la bouteille. Alors que le col était autrefois plus élancé, le flacon est désormais « plus trapu et plus court ». Un choix esthétique et pragmatique. « Nous avons souhaité harmoniser notre gamme, tout en distinguant les cuvées spéciales. Nous voulions aussi une bouteille pratique, bien cylindrique, pour la mise en cave. » 

Terre de vins aime… 
Le Clos du Moulin Brut Premier cru 
Édité à 6 900 exemplaires (chaque bouteille est numérotée), le nouveau Clos du Moulin associe les millésimes 2016, 2015 -et 2014. 2016, qui constitue environ 60 % de la cuvée, n’avait pas une forte concentration aromatique, mais un peu à l’image de 1999 ou 2007 beaucoup de fraîcheur. Voilà pourquoi 2015 et 2014, deux années chaudes avec davantage de richesse, mais sans doute moins de droiture, le complètent parfaitement. Les six ans de vieillissement sur lie et la liqueur de dosage issue d’un vin élevé un an en fût de chêne ont achevé d’équilibrer cette fraîcheur par une belle complexité. Les beaux agrumes qui vivifient le vin sont ainsi balancés par des notes de viennoiserie qui appellent la gourmandise, pourquoi pas un turbot à la crème, une tomme aux fleurs ou une tarte aux fruits ? (155 €)

©Jérôme POULALIER

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